Les médiateurs familiaux entendent parfois les réactions désappointées des personnes lorsqu’elles évoquent un jugement rendu en matière familiale. Déception, frustration, colère sont possibles. Elles avaient une conviction intime de leur bon droit ; malheureusement, la décision de justice concernant le mode de résidence des enfants, le montant de la pension alimentaire, ou tout autre litige soumis au magistrat, n’est pas celle espérée. Ces personnes expérimentent que trancher un litige en justice ne résout pas nécessairement le conflit sous-jacent. Elles découvrent aussi l’existence de l’aléa judiciaire.
Notre article souhaite apporter un éclairage sur ce deuxième point car il est incontournable mais méconnu : qu’est-ce que l’aléa judiciaire ? Pourquoi cet aléa est-il particulièrement prégnant dans le domaine familial ? En quoi un processus de médiation familiale peut présenter un réel intérêt pour les personnes en leur permettant d’atténuer cet aléa judiciaire ?.

L’aléa judiciaire est une réalité incontournable

Aléa vient du mot latin alea, qui peut se traduire par hasard, jeu de dés. L’aléa judiciaire signifie qu’il n’est pas possible de connaître par anticipation quelle sera la décision d’un juge. Des situations très ressemblantes peuvent donner lieu à des décisions différentes. Rendre la justice ne se résume pas à l’application mécanique de lois comme le serait la mise en œuvre de règles mathématiques ; ce n’est pas une science exacte mais l’appréciation d’une situation, dans un temps, un lieu et un contexte particuliers; dans un cadre donné qui est celui de la loi, en tenant compte de la jurisprudence. Tout en faisant très consciencieusement leur travail, plusieurs juges d’un tribunal n’auront pas la même sensibilité, ne donneront pas nécessairement une importance équivalente aux mêmes éléments du dossier, n’interpréteront pas la loi de la même façon, et finalement ne rendront pas les mêmes jugements. L’aléa judiciaire peut dépendre aussi de la culture et des pratiques du tribunal concerné, en lien avec son histoire et celle du ressort de ce tribunal. Les plaidoiries des avocats manifestent également cet aléa judiciaire. Si la possibilité d’influencer la décision du juge n’existait pas, à quoi bon plaider ?

L’aléa judiciaire est particulièrement prégnant dans le domaine familial

En certaines matières, le droit commercial par exemple, la compétence technique est normalement suffisante pour résoudre la plupart des litiges et limiter les conséquences de l’aléa judiciaire. En matière familiale, il n’en est pas ainsi. Bien que nécessaire, la compétence technique n’est pas suffisante car l’humain est en jeu plus qu’en toute autre matière. Le litige soumis à la décision du juge s’accompagne très souvent d’un contentieux où les dimensions affective, émotionnelle, sentimentale sont éminemment présentes. A l’objectivité des éléments apportés par les parties, s’ajoute une grande subjectivité dans l’appréciation des situations, des torts et des droits respectifs. Le juge doit résoudre un litige ; les parties espèrent qu’il apaisera un conflit aux dimensions multiples.

Dans ce contexte, l’aléa judiciaire a des conséquences notables et parfois regrettables : la décision de justice alimente le conflit. Marc Juston, Juge aux Affaires familiales émérite, recense les sujets les plus concernés dans ce domaine familiali :

– La « faute » visée par l’article 242 du Code civilii peut être invoquée par une partie, avec l’appui de son avocat, en cas d’infidélité du conjoint par exemple. Mais cette notion de faute a évolué ; au grand dam du justiciable, un juge aura tendance aujourd’hui à la réserver aux situations les plus graves, telles que les violences intrafamiliales.

– L’intérêt de l’enfant, sur lequel s’appuie fortement le droit de la famille, est une notion très abstraite, dans laquelle parents, avocats, juges, pourront mettre un contenu spécifique en fonction de leurs propres cultures, histoires, attentes. Comment le juge peut-il discerner l’intérêt de l’enfant en n’appréhendant que très partiellement son vécu réel ? L’intérêt de l’enfant ne s’enferme pas dans une définition précise ; il ouvre en grand la porte de l’aléa judiciaire.

– Pour mieux appréhender la situation, l’audition de l’enfant est possible. Le juge peut la solliciter, l’enfant également. Marc Juston relève cependant que « l’audition de l’enfant, prévue par le législateuriii, constitue une voie vers la solution adaptée du conflit qui n’est pas exempte de risque et d’incertitudesiv ». Deux questions principales se posent en effet : par qui est recueillie la parole de l’enfant ? De quelle manière est transcrite la parole de l’enfant ? A ces questions les réponses sont multiples et alimentent le champ de l’aléa judiciaire.

– La coparentalité, peut s’exercer sur le mode de la résidence alternée des enfants. Pour ce sujet, l’aléa est aussi très important. Chacun dans la société a son avis sur la question ; les spécialistes de l’enfance ont eux-mêmes des opinions divergentes. Comment pourrait-il en être différemment pour les juges ? Certains y sont très favorables, d’autres sont plus dubitatifs, fixent des critères d’âge, font du « sur-mesure », quelques uns y sont plutôt opposés par principes.

– A ces sujets, nous pouvons ajouter tout ce qui touche aux questions financières : la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, la pension alimentaire, la prestation compensatoire. Etant soumisses à l’appréciation du juge, elles offrent également une large plage à l’aléa. Pour la pension alimentaire, des barèmes ont été établis par le Ministère de la Justice et par la Caisse Nationale d’Allocation familiale. Ils ne sont qu’indicatifs et ne donnent d’ailleurs pas les mêmes résultats. En aucun cas, ils ne peuvent remplacer l’estimation faite par le juge au vu des éléments dont il dispose.

La médiation familiale permet d’éviter l’aléa judiciaire

Le Juge aux Affaires Familiales doit trancher les litiges, conscient de la part d’aléa que contiennent ses décisions ; conscient aussi de ne pouvoir résoudre le conflit dans sa globalité. La frustration n’est pas que celle des parents, elle est aussi celle du juge ! La solution ? Rendre aux personnes la capacité à assumer elles-mêmes les décisions qui les concernent, en prenant en compte toutes les dimensions du conflit qui les oppose. C’est l’ambition de la médiation familiale.

Un processus de médiation familiale peut être envisagé indépendamment d’une procédure judiciaire. Il peut être une parenthèse dans la procédure lorsqu’elle est déjà engagée. Il peut intervenir également après qu’une décision de justice ait été rendue. A l’occasion d’entretiens confidentiels, dans un lieu neutre, accompagné d’un médiateur familial diplômé d’état – tiers impartial et indépendant – les personnes pourront cheminer vers un apaisement de leur conflit et parvenir progressivement à une entente parentale. Les décisions prisent seront les leurs, respectant au plus près leurs intérêts respectifs et l’intérêt des enfants. Les parents sont invités à construire leurs propres solutions concernant les conséquences de leur séparation car le médiateur familial ne décide pas à leur place ; il a la conviction que les personnes sont elles-mêmes capables de trouver les meilleures solutions à leur situation. Le temps du processus de médiation familiale est un facteur d’apaisement du conflit parce qu’il est le temps nécessaire au questionnement, à l’écoute mutuelle et au cheminement vers une séparation non destructrice dans l’intérêt des enfants.
Dans l’espace de médiation familiale se mêlent les oppositions de sentiments, d’opinions, de besoins et d’intérêts. Les personnes y abordent des aspects complexes de leur conflit et le litige qu’ils affichent en justice est souvent le dessus de l’iceberg de leur relation difficile. Le dialogue reste la solution la plus bénéfique pour des parents séparés et la médiation familiale leur offre cette possibilité d’envisager les conditions de leur séparation et ses conséquences dans un climat de respect mutuel. Si elles le désirent, elles pourront faire homologuer leurs décisions par le Juge aux Affaires Familiales. Une fois homologuée, l’entente aura valeur de jugement et prendra force exécutoire.

Le processus de médiation familiale, mode amiable de résolution des conflits très brièvement résumé icii, est de plus en plus encouragé par la justice. Il est une proposition pertinente pour éviter l’aléa judiciaire et, plus que cela, pour résoudre les conflits en tout domaine familial.

La Recampado, service de Médiation familiale

I – Marc Juston, La médiation et le juge aux affaires familiales, n°23-28, 4 avril 2020
II –
Code civil art. 242 : « Le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. »
III –
Code civil art 388-1 ; Code de procédure civil art 388-1
IV –
Marc Juston, idem n°28

V – Voir notre page : www.larecampado.com/mediation-familiale-separation-divorce