LA RECAMPADO

Les 40 ans de la Recampado

Anniversaire des 40 ans de l’association la RECAMPADO
Contribution de Sabine Faivre – Magistrate honoraire

      1982 : Une rencontre inoubliable : celle de la très jeune magistrate que j’étais, fraîchement arrivée au tribunal d’Aix en Provence, comme juge aux affaires matrimoniales (JAM), avec deux enquêtrices sociales, Simone Garnier et Yvette de Vals, très expérimentées, passionnées et passionnantes.
Elles interviennent dans les procédures de divorce ; des discussions se nouent très vite sur l’objectif d’un maintien du lien entre les enfants et leurs deux parents séparés quelle que soit l’importance du conflit et la violence de leurs relations.

Ces discussions soulagent le désarroi de la jeune juge envahie par ces situations conflictuelles et qui doit rendre « la » décision tant attendue ! il lui est fait obligation de « trancher ». Ce mot m’est toujours apparu horrible, dès lors qu’un enfant reste toujours celui de ses deux parents….
Leur expérience, de ce qu’elles observent au cours des mesures d’enquête sociale, fait émerger trois points forts :
– Le maintien du lien peut nécessiter la présence d’un tiers pour la mise en place de l’exercice du droit de visite ;
– Désamorcer le climat conflictuel nécessite un lieu neutre ;
– Le maintien du lien doit s’inscrire dans la durée ;

       La détermination de ces « enquêtrices sociales » pour monter un projet, combinée au grand soulagement qu’elles apportent par ce projet, vont créer une synergie pour institutionnaliser la démarche, malgré l’absence de texte (les textes ne prévoient pas l’exercice d’un droit de visite dans un lieu neutre, créer une association… rechercher des financements

     Ces trois idées évidentes et simples rassurent le jeune magistrat que je suis, une dynamique se met en place : l’évènement d’aujourd’hui le démontre ; elle a également été fondatrice dans l’exercice de mes activités ultérieures de juge ; elle n’aurait pas été possible sans la très grande richesse humaine de leurs fondatrices auxquelles je pense aujourd’hui, 40 ans plus tard encore avec émotion…. Quelle aventure ! Au regard de ce qu’est aujourd’hui l’association la RECAMPDO et de ce qu’elle sera demain … la confiance est toujours de mise ….
Ce que j’ai tiré de cette expérience fondatrice au début de ma vie de magistrat :

Comment se situer comme (tout jeune) magistrat lorsqu’une situation de fait :
un droit de visite dans un point rencontre n’est prévue par aucun texte ?

      A l’époque, l’article 288 du code civil prévoit que le droit de visite et d’hébergement ne peut être refusé au parent qui n’a pas l’exercice de l’autorité parentale que pour motifs graves.
On mesure le caractère rigoureux de ce texte…. L’exercice d’un droit de visite organisé dans un lieu neutre apparaissait alors comme complètement iconoclaste, pas forcément juridiquement faisable ;
Mais, il ne fallait pas pour autant renoncer à donner la possibilité de l’exercice d’un droit de visite dans un lieu neutre. Il y a eu des Cassandre et des frileux nombreux qui ont néanmoins été utiles pour nourrir la réflexion sur l’analyse du besoin et sur une prise de risque adaptée. Cela a été une expérience riche qui m’a conduit à plusieurs reprises à recourir à de nouvelles approches iconoclastes des textes quand la vie et le bon sens l’exigent.

Dans l’exercice de la poursuite de mon activité, j’ai eu l’occasion de mettre à profit cette expérience et de renouveler l’expérience d’une interprétation iconoclaste des textes avec parfois la reconnaissance de la Cour de Cassation…

Une prise de conscience que la logique judicaire du binaire, du OUI/NON, peut être dépassée avec des propositions permettant de dégager des éléments de discussion.

La manifestation du conflit, se structure autour de l’opposition et, son issue est pour les protagonistes dans un premier temps binaire : « la décision me donne raison ou me donne tort » ;

Une proposition autre, ou une hypothèse de réponse judiciaire autre, mérite toujours d’être tentée.

Cela m’a conduit à développer un fort intérêt pour la médiation qui m’a conduit à rejoindre l’équipe du médiateur de la République (devenu défenseur des droits) pendant 6 ans de 1992 à 1998.
Ces six années ont été d’une grande richesse en ce que l’équipe autour du médiateur de la République était pluridisciplinaire, à l’affut de toutes les initiatives en cours de mise en place médiation dans de nombreux univers avec un effet de mode auquel je n’ai pas été très sensible.
En revanche, la culture d’une approche de médiation, a émaillé la poursuite de l’exercice de mon activité professionnelle y compris dans une activité pénale lourde…. Aussi étrange que cela puisse paraître ;

Le magistrat peut et doit sortir de son bureau et aller à la rencontre de la Cité
sans pour autant mettre en péril son cœur de métier : l’art de juger de façon indépendante …..

       La rencontre des partenaires de l’autorité judiciaire, laquelle leur est totalement étrangère, voire incompréhensible dans ces modes de fonctionnement, et qui leur fait peur, a toujours permis des dialogues féconds pouvant même être constructifs ; c’est ainsi que je garde le souvenir d’avoir été sollicitée par l’association, qui ne s’appelait pas encore le RECAMPADO, pour des rencontres avec la caisse d’allocations familiales (CAF) susceptible d’accorder des financement qui, à la faveur d’échanges, a été convainceu de l’utilité de la mise en place d’un « point rencontre » (terme utilisé à l’époque) ;

Cette démarche a aussi été un apprentissage pour moi ;

Bref ! j’ai beaucoup appris de cette expérience immensément enrichissante et je suis profondément admirative de l’ampleur qu’elle a prise et de ce qu’elle est devenue 40 ans plus !